Ca fait maintenant 6 jours qu'on crapahute dans le nord de L'Inde et malheureusement notre ressenti initial se confirme progressivement...
Nous restons toujours perplexes face aux regards insistants, à la pollution sous toutes ses formes et à nos difficultés à trouver notre place... En bref, on ne se sent pas les bienvenus mais armés de volonté et de patience on poursuit notre chemin vers l'ouest, direction Jaisalmer.

Pour notre dernière nuit à Agra, et aussi pour fêter mes 39 ans, on s'est offert le luxe d'un hôtel 5 étoiles avec piscine et restaurant gastronomique. Les abords de cette bulle paradisiaque sont horriblement sales et pauvres, mais une fois à l'intérieur, calme et douceur s'offrent à nous.
Le chef de salle du restaurant nous surprend beaucoup par son charisme, son raffinement et son humour, et en plus il semble bien nous apprécier. Ces 24 heures de détente, de relaxation et de buffets à volonté dans un cadre idyllique nous permettent de repartir serein à l'assaut de ce pays effervescent. D'ailleurs, nous créons la surprise en quittant l'établissement à pieds avec nos sacs à dos, sans taxi ni bus, ni même un tuk tuk. Ils ne doivent pas souvent voir de backpackeurs dans cet hôtel...

Le patrimoine architectural du Rajasthan est riche et on commence donc par de courtes étapes vers de petites villes à la découverte de forts, temples et curiosités en tout genre. Les déplacements en tuk tuk, jeep, et bus locaux ne sont pas simple, on semble être les 2 seuls touristes étrangers à s'aventurer hors des sentiers battus et pour ne rien arranger, Emilie est malade.

Première étape au départ d'Agra : Fatehpur Sikri. On y découvre un joli temple Musulman bien entretenu, autour duquel plusieurs locaux nous réclament des selfi. Ah oui, on a pas encore évoqué ce détail mais depuis notre arrivée en Inde, on se fait interpeler plusieurs fois par jour pour être pris en photo comme des stars en compagnie de jeunes qui nous tiennent la main, nous enlacent, où nous lancent "i like you"... Bon on ne va pas se plaindre, ça permet d'avoir un échange plutôt sympathique. On a même eu droit à une vingtaine de clichés dans un train avec un jeune étudiant pour qui nous étions les premiers touristes qu'il rencontrait... 

Tandis que je cherche un bus pour rejoindre notre prochaine étape, Emilie gère discrètement une autre urgence derrière un buisson. On poursuit notre promenade en direction de la grande route puis un nouvel arrêt s'impose, à l'abris d'un rempart. On se rend compte au bout de 5 minutes qu'une dizaine de gamins perchés là-haut n'ont rien raté de la scène. Tant mieux pour eux, je les félicite d'en bas ! Puis ils nous lancent une pierre qui heureusement, tombe à nos pieds. Je les somme alors de descendre mais les trouillards restent planqués là-haut. Ah les sales gosses !!!

On poursuit alors notre route en tuk tuk vers Bharatpur, ville moyenne abritant une zone fortifiée. On écourte rapidement la visite car il n'y a en fait pas grand chose à voir ici à part des douves remplies d'immondices et quelques remparts à l'abandon. En réalité, l'attraction de la ville c'est nous. Ici pas de selfi mais plutôt des regards oppressants ou moqueurs et des enfants très entreprenants.

La journée se termine et on souhaite rejoindre notre prochaine étape, la ville de Deeg située à 40km, pour y dormir. On s'entasse alors à 18 personnes dans une Jeep qui, pour un prix dérisoire, semble prendre la bonne direction. On arrive à destination 1 heure plus tard et la nuit est déjà tombée depuis un moment. Notre problème va être maintenant de trouver un hôtel dans cette petite ville qui n'est en fait pas du tout touristique. On réclame une guesthouse à une quinzaine de personnes qui nous indiquent toutes la même direction, mais après 2 ou 3km de marche, toujours pas d'hôtel en vue. Cette longue et épuisante journée est en train d'avoir raison du moral Emilie qui est à bout de force. Un gamin qui semble très alcoolisé surgit alors à vélo et nous montre le chemin. On se retrouve 1km plus tard au pied d'un batiment sinistre et lugubre dont la seule lumière éclaire une statue effrayante représentant un homme se tenant debout au milieu d'une cour intérieure. S'il n'y a que cela pour dormir dans cette ville fantôme, on va s'adapter... On frappe à la porte... Pas de réponse. Un autre gamin à vélo déboule de nulle part en nous lançant en anglais "c'est fermé, suivez moi!".
Emilie est épuisée, mais nous n'avons pas d'autre choix que de suivre ce gosse et l'idée de dormir dehors ne nous réjouit guère. 500 mètres plus loin, un type nous accueille dans l'unique guesthouse de la ville, qui n'est rien de plus qu'un immeuble sans aucune indication, avec 5 ou 6 chambres à disposition. D'après le registre que nous devons remplir, cet hôtel n'a pas vu un touriste depuis plusieurs semaines. Pour nous ce sera parfait, un lit et une salle de bain. On se repose quelques minutes puis on part en quête de nourriture car à part des bananes, on a pas mangé grand chose de la journée. Bon et bien on se contentera de bananes une fois de plus, avant de s'écrouler de fatigue à 21h. 

Le lendemain matin on a 2 objectifs : visiter le fort et trouver un moyen de transport pour la suite. D'après le patron de l'hôtel le fort ouvre à 10h donc on fonce d'abord à la gare situé à 2km. Pour la première fois depuis 3 mois, même notre GPS a l'air désœuvré puisqu'il ne connaît même pas les rues secondaires de la ville. On traverse quelques ruelles dont les caniveaux complètements saturés débordent d'eaux usées, les odeurs sont répugnantes et l'intégralité des habitants nous dévisage de la tête aux pieds. Puis un peu perdus, on finit à travers champs.
Les trains de la journée sont au nombre de 4. On a raté les 2 premiers, et les 2 suivants ne nous intéressent pas. Tant pis, on trouvera autre chose plus tard. En attendant, allons visiter le fort, principale curiosité de la ville qui fait que nous sommes venu ici. On arrive vers 9h30 et c'est ouvert. En fait, il n'y a ni horaires d'ouverture, ni guichet, ni touriste. Nous sommes seuls, c'est gratuit et les douves encerclants la muraille sont aussi sales qu'à Bharatpur.

L'ouvrage est cependant impressionnant et d'anciens énormes canons trônent toujours au sommet de l'édifice.
Certaines parties ont été rénovées dernièrement, d'autres sont en cours de réfection. Nous empruntons le chemin de ronde situé à environ 25 mètres au dessus du niveau de l'eau des douves. Nous surplombons la ville et c'est d'autant plus impressionnant qu'il n'y a aucun garde fou. On reste donc bien à distance du vide, surtout qu'une bonne dizaine de vaches a semble t'il élu domicile là-haut. Ce serait dommage de se faire charger au bord du précipice ! En moins d'une heure, on a fait le tour de l'édifice et cela valait vraiment le coup.

Retour à l'hôtel pour récupérer nos sacs à dos et payer notre nuit. Petite pause pour Emilie qui n'est toujours pas très en forme, puis on rejoint l'embranchement qui part vers Jaipur où on aimerait arriver le soir même.
Les locaux semblent avares en renseignement, ou peut-être n'ont-ils jamais vu un Européen? En tous cas difficile de trouver notre route! On tente le stop... Quelques véhicules s'arrêtent mais ils nous demandent de payer une somme exagérée! On attrape finalement un bus local qui est déjà bien remplit mais qui nous permettra de parcourir un tiers du chemin, environ 80km en 2h30. Un type sympa nous aidera ensuite à trouver le prochain bus jusqu'à Jaipur, mais bizarrement, il faut cette fois faire la queue au guichet pour acheter les billets. Je me cale donc derrière une vingtaine de personnes qui semblent attendre leur tour depuis plusieurs "années". Au bout de 15 min, rien n'a bougé et un type près du guichet me fait signe de le rejoindre. Je m'approche timidement en prenant soin de garder ma place dans la file. Il me dit de passer devant tout le monde. Je m'exécute, je joue des coudes et personne ne semble broncher. Je m'aperçois alors que seuls les hommes font la queue sérieusement tandis que les femmes se bousculent au comptoir et se crêpent le chignon pour être servies les premières. Dès que possible, je faufile mon bras dans le petit trou du grillage où il y a déjà 3 autres bras, et tends un billet de 500 roupies au vendeur. Je suis plus grand, mon bras est plus long et je devance ainsi mes adversaires! Victoire, je récupère les tickets et ma monnaie, et nous grimpons dans le bus qui part presque immédiatement. Entre temps, les hommes de la file d'attente n'ont toujours pas bougés et bizarrement les touristes semblent prioritaires à l'instar des femmes.
Au final, cela nous a permis d'obtenir des places assises numérotés, ce qui est bien appréciable pour parcourir ces 150km jusqu'à Jaipur, soit 5 heures de route.
Une fois de plus nous sommes les seuls touristes. Les voyageurs achetant les billets directement dans le bus resterons 5 heures debout dans l'allée centrale.

Nous arrivons tardivement à Jaipur et l'hôtel qu'on avait repéré est plein. Un peu plus loin, des rabatteurs nous tombent dessus et un peu épuisés, on se laisse embarquer dans leur hôtel miteux et bruyant. Impossible de se reposer dans cet endroit hostile et on finira par s'enfuir sans payer à 23h pour rejoindre une jolie auberge de jeunesse au calme. 
On commence alors à réaliser que dans ce pays, il est indispensable de se trouver des nids douillets et réconfortants pour compenser les agressions extérieures, alors qu'au Nepal ou en Mongolie, l'environnement nous émerveillait tellement que l'intérieur nous importait peu...

Ce soir là, malgré notre changement d'hôtel qui nous a fait un bien fou, on fini par se rendre à l'évidence. On a plus la force de se faire malmener ainsi après 3 mois d'épreuves physiques et mentales... Jaisalmer nous semble encore tellement loin... 600 km et tellement de bus et de tuk tuk à emprunter, tellement de regards à affronter, tellement de pollutions à digérer! En fait, on a besoin de vacances, de plages, de cocotiers et de repos, d'autant plus qu'on a traversé que des pays enclavés depuis plus de 80 jours. Il nous faut la mer, l'océan, la grande bleue!!! Le soir même, on décide d'abandonner notre programme, on dégote des billets d'avion sur internet, décollage pour Goa le lendemain matin, adieu Jaipur malgré tout nos efforts pour t'atteindre....
Le simple fait de changer d'objectif nous revigore.
24 heures plus tard on a les pieds dans le sable, le bruit des vagues nous caresse délicatement les tympans, et on retrouve très vite notre légèreté d'esprit.
On comprend alors que tous les touristes se cachent ici, dans cette petite région du sud-ouest de l'Inde où il fait bon vivre. L'océan est chaud, la biere est fraîche, les habitants sont souriants et détendus... Le contraste avec le nord est saisissant.
Notre seule préoccupation pendant ces 10 jours de repos va être de trouver de l'argent, du cash, de la tune... En effet, le gouvernement indien a eu la bonne idée de fermer soudainement toutes les banques et distributeurs du pays pendant 2 jours afin de mettre en circulation de nouveaux billets. Le black-out est total. Apres 2 jours, quelques distributeurs ré-ouvrent timidement, et le débit est rationné. Il nous faut parfois attendre 2 heures pour obtenir à peine 25€. Les queues sont interminables et les machines sont vites à sec malgré le remplissage quotidien. Au final, on a toujours pas vu les nouveaux billets et certaines anciennes coupures sont déjà refusées par les commerçants. Ce KO est incompréhensible, les commerçants sont désemparés, mais heureusement il règne une grande solidarité et les ardoises se multiplient.

Dans 2 jours nous décollons pour Sydney après un court arrêt à New Delhi.